Conférence de SAIR l’Archiduc Carl-Christian de Habsbourg-Lorraine prononcée le 6 décembre 2019 à l’Institut français – Centre Saint Louis – Rome.

Ecrit par Webmaster le 6 janvier 2020. Publié dans Publications et Conférences

Chers lecteurs, nous proposons à votre lecture assidue l’intégralité de la conférence de SAIR l’Archiduc Carl-Christian de HABSBOURG-LORRAINE.

L’Archiduc salue les personnalités présentes, fait part de son émotion suite au décès du Baron Guerrier de Dumast et exprime toute sa reconnaissance pour tout ce qu’il a fait pour l’Association et pour la Lorraine.

C’est une grande joie pour mon épouse et moi-même de pouvoir être parmi vous ces jours-ci à Rome par l’aimable invitation de l’Association Les Amis de Saint-Nicolas des Lorrains

et de revoir beaucoup de visages familiers dans ce magnifique Institut Français et en cette belle Fête de notre Saint patron, St Nicolas, si chère à la Lorraine. (Mais aussi à la Belgique,au Luxembourg et tant de pays européens).

En recevant votre belle invitation, il était précisé qu’il s’agissait d’un voyage et d’un pèlerinage !

Selon le dictionnaire, un pèlerinage est un voyage effectué par un croyant, vers un lieu de dévotion, vers un endroit circonscrit tenu pour sacré selon sa religion.

Chacun-e-de vous a pris la décision « de se mettre en route ». De quitter son domicile, de renoncer à un autre événement pour être ici aujourd’hui et pas ailleurs ! C’est donc un choix ! Un pèlerinage est souvent entrepris par des personnes unies sur l’essentiel mais, individuellement en état de recherche » ; Une constante : quelque soient les raisons, toutes et tous espèrent en retirer un BIEN

Les raisons peuvent être diverses :

  • • une intercession
  • • remettre ses priorités en ordre, une promesse,
  • • Honorer un lieu, un saint
  • • Progresser dans sa foi
  • • Découvrir un lieu de culture exceptionnel qui nous parle.
  • • Ou un mélange de toutes ces raisons

ROME bien sûr offre tout cela. Profitons-en. Donc au lieu de parler de « Rome et les Habsbourg « , : je préfèrerais « Rome et ce qu’elle représente pour le monde et chacun de nous personnellement » Car personne, même inconsciemment, n’est indifférent à ce qui se passe ici ou ce qui en sort, qui nous est donné !

C’est donc le lieu approprié pour partager un certain nombre de réflexion sur le christianisme et comment ses valeurs doivent continuer à avoir un rôle important aujourd’hui et demain.

L’Eglise est décrite comme experte en humanité. Tous les sujets qui touchent à l’être humain- sont abordés, traités par Elle au travers des textes, encycliques, discours du pape, ses voyages et au travers du réseau universel de l’Eglise (Evêques, religieux….).

Et les idées qu’elle propose au monde entier, chacun (es) de nous peut exercer sa liberté de les accepter ou non, les vivre personnellement ou non, les annoncer à d’autres ou non. Nous avons donc continuellement des choix à faire chaque jour.

Refaisons un petit pas de 2000 ans en arrière.

Il est intéressant d’observer que les 2 piliers de l’Eglise, St Pierre le 1er Pape, et St Paul sont tous 2 morts martyrisés ici à Rome.

St Pierre y vient pour apporter son soutien aux 1ers croyants en danger, et déjà son immense prestige d’homme qui a côtoyé Jésus et a été choisi par le Christ pour diriger et développer l’Eglise naissante retient l’attention des autorités politiques de l’Empire qui se méfient de ceux qui « pensent autrement ». Ce n’est pas si différent aujourd’hui !

Arrêté en Terre Sainte, St Paul qui était juif et citoyen romain veut être jugé à Rome pour pouvoir apporter son témoignage dans la ville qui symbolise pourtant l’oppression et la persécution de ceux qui ne reconnaisse pas l’empereur comme une divinité…qui propose des idées toutes nouvelles qui dérangent.

Animé comme personne d’un enthousiasme, d’un feu, d’une passion d’annoncer le Christ et son message au monde, Paul a compris qu’avec les réseaux de communications de cet immense empire, une administration, des savoir-faire uniques et son mode de fonctionnement, Rome est un point de départ essentiel à partir duquel la Bonne Nouvelle peut être apportée au monde.

En pensant à notre chère Europe et si St Paul vivait aujourd’hui, où irait-il ? à Bruxelles et Strasbourg. Imaginons comment il serait accueilli !

En tous cas, le christianisme se répand rapidement autour de la méditerranée.

250 ans après St Paul, l’empereur Constantin s’y converti et cesse la politique de persécution de ses prédécesseurs. Il va s’appuyer sur la nouvelle religion pour consolider l’unité de son empire, de l’empire d’Occident et d’Orient.

Au IV. s déjà le christianisme devient la religion officielle de l’Empire !

St Augustin, né en Algérie en 354 parlera déjà de la Cité des hommes dont la construction est la mission de l’état et la Cité de Dieu qui relève de l’Eglise, les 2 devant coopérer. Et cela sera ainsi jusqu’à aujourd’hui.

Comme Clovis (496), de nombreux rois et leurs peuples embrasseront la foi.

St Benoit (+547) est à juste titre Patron de l’Europe.

Les Bénédictins jouent un rôle central dans la formation et le développement de notre continent. Pensons au moine Irlandais Colomban qui fonde à la fin du VI. s. une série de monastères en Suisse, France, en Italie en Allemagne, de vrais centres intellectuels, culturels et religieux qui influenceront durablement les pays où ils s’installent. Dans une lettre au pape Grégoire le Grand en 590, il est, je crois, le 1er à utiliser le terme « Europe » pour nos contrées.

Après les invasions arabes du 8. è s le besoin d’un pouvoir centralisé en Europe se fait sentir et ce sera la création de l’Empire de Charlemagne puis des 3 Empereurs Otton. L’empire va devenir la vraie matrice politique et géographique de l’Europe. Jean François CHEMAIN rappelle que les chroniqueurs désignaient le Pape Jean VIII, « recteur de l’Europe » » Charles Martel chef des « gens d’Europe », Charlemagne comme « phare de l’Europe » Louis le Pieux, prince de l’Europe, – C’est lui qui imposera la règle de St Benoît à tous les monastères de l’Empire par souci d’unité spirituelle et culturelle.

Les intérêts spirituels des hommes ont pour tête le Pape et les intérêts matériels et de l’organisation de la société, l’Empereur. Mais la Bible est partout la base du droit et l’influence du clergé est prépondérante dans la direction des affaires politiques. Chaque souverain a pour conseiller principal un prélat, un moine…

Ces 2 pouvoirs, si forts, le temporel et le spirituel, malgré les inévitables tensions, devaient trouver une solution qui se matérialisa sous la forme du St Empire romain germanique où les monarques catholiques élisent un primus inter pares comme empereur.

Ce titre devint cependant pratiquement héréditaire pour les Habsbourg avec 19 empereurs depuis le 13 e s. dont 4, depuis François de Lorraine, pour la dynastie de Habsbourg-Lorraine, qui aurait dû comme vous le savez s’appeler de Lorraine-Habsbourg et non l’inverse.

Bien que de nombreux conflits ne purent être empêchés, la mission principale de l’empereur était la défense du droit, la stabilité politique et la résolution pacifique des conflits : Il se devait d’être un arbitre et un protecteur pour tous, petits et grands.

Quand les électeurs de l’Empereur du St Empire prononçait leur serment. Ils disaient « Je veux élire le roi des romains, notre empereur comme chef temporel de la chrétienté. »

Ceci conférait une responsabilité importante envers presque tous les pays européens qui avaient conscience d’appartenir à un ensemble européen, unis par une culture et une foi chrétienne commune et souhaitaient que cet ensemble soit défendu, et sur tous les fronts.

Pensons à la durée de la Reconquista espagnole commencée au VIII. s. et s’achevant grâce aux rois catholiques Ferdinand et Isabelle en 1492 !, aux combats fréquents en Méditerranée, contre les barbaresques, ces pirates bien organisés et souvent soutenus par les Turcs, aux nombreuses guerres contre les Ottomans. Ils occupèrent une gde partie de la Hongrie pendant 150 ans.

Il y eut les 2 sièges de Vienne en 1529 sous Charles Quint puis à nouveau 150 ans plus tard quand le roi Jean Sobiewski, roi de Pologne, vient au secours de Vienne avec Charles de Lorraine, beau-frère de l’empereur Léopold. C’est le Duc de Lorraine qui libère Budapest en 1686 et une partie de la Hongrie occupée.

Le fils de Charles Quint, Philippe II ( Don Juan d’Autriche) remportera la bataille de Lépante en 1571 . L’alliance victorieuse fut nommée Sainte Ligue, donc à nouveau réunie à la demande du Pape Pie V et regroupant des forces de toute l’Europe chrétienne. C’est d’ailleurs en souvenir de cette victoire que fut instituée la fête du Saint-Rosaire à partir de 1573.

Mais il y eu aussi les tristes luttes internes, en partie liées à la montée du protestantisme de Luther qui se termina par des confrontations, notamment celle de la Montagne blanche en Bohème qui vit la victoire des troupes impériales fidèles au Pape.

Il y eu le sac de Rome sur fonds de guerres d’Italie, de rivalité entre les familles Colonna et Medicis, d’alliance entre François 1er et le Pape Clément VII contre Charles Quint, avec des soldats impériaux non payés…

Tout au long de notre histoire les souverains et l’Eglise s’opposeront parfois, s’allieront souvent, s’influenceront, mais s’appuieront toujours à la fin l’un sur l’autre pour forger ensemble les fondements de l’Europe en construction et puis des pays du monde découverts par la suite.

Citons deux querelles célèbres, à 800 ans d’intervalle et qui ne sont pas sans enseignements :

  1. La querelle des Investitures où entre 1075 et 1122, le pouvoir temporel voulu s’imposer au pouvoir spirituel en nommant Abbés et Evêques. Cela aura pour conséquence une défaillance profonde du clergé qui n’assure plus son rôle. Finalement, et c’est heureux, l’Eglise reprendra la main sur ses affaires et la nomination des responsables religieux et les choses iront mieux. Certains Papes (après Grégoire VII) eurent la tentation d’influencer les élections des empereurs et l’inverse est vrai aussi.
  2. Il y a eu les fameuses Exclusives par lesquelles des pays ou même le St Empire, à une occasion, intervenaient lors de l’élection d’un pape en bloquant un candidat ou en en soutenant un. La France (sous la monarchie et 3ème république), l’Espagne et l’Autriche sont ainsi intervenus plusieurs fois.

En bons catholiques, nous croyons vraiment que l’Esprit Saint est à l’oeuvre lors de chaque élection papale et que donc ce type d’interférences n’est vraiment pas très chrétien.

Mais en même temps, avec humour, nous voyons que le St esprit peut très bien se servir du désir de pouvoir des hommes pour agir à sa guise. Et laisser certains gouvernants croire qu’ils ont une grande influence. Quand en 1878 la France a prononcé une exclusive contre le Cardinal Bilio, c’est le grand Pape Leon XIII qui a été élu. Nous lui devons des encycliques sociales essentielles comme Rerum Novarum et le magnifique concept de subsidiarité.

Et lors de la toute dernière exclusive, c’est l’Empereur François-Josef qui, par le Cardinal Prince Evêque de Cracovie PUZYNA, s’est opposé au Cardinal Rampolla, un favori, permettant l’élection de celui qui allait devenir Saint Pie X. Celui-ci interdit dès son élection toute ingérence future et ce fut la fin des exclusives.

Et lorsque nous voyons les niveaux et la qualité exceptionnelle des 10,11 derniers papes, on ne peut douter que l’Esprit Saint souffle….Si les états ont voulu intervenir, cela démontre bien que chaque élection est considérée d’une importance cruciale pour le monde, de par le poids spirituel et politique du St Siège avec le pape comme autorité morale la plus écoutée sur terre.

J’ai cité ces quelques faits pour montrer que pendant tant de siècles, l’Europe politique et l’Europe religieuse étaient absolument indissociable. Vers la fin du St Empire Germanique, les titres de l’Empereur Joseph II était encore : Chef de l’armée de la chrétienté, défenseur de l’Eglise, chef temporel des fidèles, protecteur de la Palestine des conciles généraux et de la foi catholique, roi de Jérusalem, etc.

Pendant toute notre histoire, le christianisme et l’Europe forment un tandem inséparable.

Aujourd’hui, nous constatons la baisse de la pratique religieuse et, comme l’a dit je pense Mme l’Ambassadrice Beton Delègue « nous ne sommes plus dans une société marquée par un catholicisme dominant. »

Tant de personnes se plaignent pourtant de ce que l’on perde nos racines chrétiennes, les apports de la Grèce et de la Thora. Beaucoup d’Européens se sentent un peu découragés et carrément inquiets pour l’avenir : Peut-être est-ce parce que nous ne savons plus très bien qui nous sommes ?

Nous nous référons trop souvent à nos cultures et à notre histoire religieuse comme étant un apport du passé, de l’histoire ancienne. Or les valeurs de notre culture chrétienne n’ont pas vocation à être remisées dans un musée et couvertes de poussière, regardées nonchalamment par des touristes. Au contraire.

Elles ont vocation à être vécues profondément dans le quotidien. Mais ce n’est pas facile ? Il n’y a plus eu autant de brimades même de persécutions de chrétiens dans le monde qu’au cours du dernier siècle et jusqu’à aujourd’hui.

Dans certains pays de notre chère Europe (pas chez tous !), il y a des courants qui poussent au rejet ou à la suspicion envers une personne de foi qui s’engage dans la vie publique.

Il faut préciser que la façon dont la laïcité est vécue est très différente selon les pays. Le concept de laïcité à la française ne peut pas être transposé tel quel dans d’autres constitutions. Nos histoires, nos structures de population sont différentes et les sensibilités aussi.

Dans beaucoup de pays où il y a une stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’idée que grâce au terme laïcité, le religieux ou le philosophique pourrait être +/- banni de la sphère publique, de la Res Publica inquiète et est ressenti comme un danger pour la démocratie.

Cela a aussi été illustré par les récentes élections européennes :

Une étude a montré qu’il y avait des pays où, au cours d’interviews de candidats dont la foi était connue, et même s’ils n’en faisaient pas mention, 30 à 40 % du temps était consacré à les interroger intensivement sur l’impact que leur foi pourrait avoir sur leur action d’élu. Ils étaient d’office un peu suspects ! Ils ont donc, en moyenne, eu moins de temps que les autres pour exposer leur programme.

Dans d’autres pays les convictions philosophiques ne faisaient aucune différence.

On n’entend pas ces mêmes questions posées à quelqu’un ouvertement anti-religieux.

Au point qu’un politicien britannique a déclaré : « Pourquoi cela doit-il être dérangeant qu’un Chrétien prie pour recevoir de la sagesse et du discernement de Dieu ? N’est-ce pas plus inquiétant qu’un politicien athéiste pense que toute la sagesse vient de lui-même ? 8

Où est l’espace de libertés de pensées et de consciences pourtant garantis par de nombreuses constitutions ?

Comment en sommes-nous arrivés là ? Ce qui nous semblait si normal, dérange.

Pourtant les de Gaulle, Schuman, de Gasperi, Coudenhove Kalergi, Monnet, Adenauer et tant d’autres fondateurs de notre Europe d’aujourd’hui étaient chrétiens, pratiquaient, mais se concentraient sur l’intérêt général.

Leurs convictions ne dérangeaient personne.

Il faudrait revenir à plus de sérénité, moins de crispation et laisser les idées être échangée plus sereinement.

Certains font des efforts pour rejeter, faire oublier ce riche contenu et reléguer toute opinion qui y est lié à la sphère privée uniquement. Pourtant, objectivement, le Christianisme imprègne notre façon de penser, nos attitudes et influencent quantité de nos lois fondamentales. Croyants et non-croyants admettent qu’une grande partie des droits de l’homme, droit au travail, droits sociaux, l’égalité des hommes, leur dignité, les plus beaux textes sur l’amour, la charité, la et les liberté (s), sur la solidarité, la défense des intérêts des plus faibles ou vulnérables, et l’accueil, ont trouvés leurs sources dans le Christianisme, dans la doctrine sociale de l’Eglise. Pourquoi en être gêné ?

Tout cela a modelé nos rapports humains et structuré le fonctionnement de nos sociétés depuis bien plus longtemps que l’existence de l’UE, que la Révolution française, Charles Quint ou même Charlemagne.

Et puis il y a des comportements typiques qui sont profondément ancrés en nous :

  • Le concept de « PROCHAIN » était révolutionnaire à l’époque. Cela a profondément influencé notre façon d’agir pendant les millénaires suivants y compris aujourd’hui avec nos traditions d’accueil et d’aide.
  • L’extraordinaire notion, parfois si difficile, du PARDON demandé et du pardon accordé. Des dirigeants importants disent encore aujourd’hui que certaines décisions clé de leur vie publique ont été influencées par ce concept.

Pensez au Genéral Mc Arthur, Gd vainqueur des Japonais dans le Pacifique refusant de suivre ses conseillers proposant une occupation totale, de vastes condamnations de responsables, l’arrestation voire l’exécution de l’Empereur et la quasi destruction du mode de vie japonais. Et bien, au lieu de détruire l’ennemi et d’éradiquer le passé, il punira les principaux coupables mais refuse d’humilier le pays durablement, met en place un système démocratique, maintient l’empereur et les coutumes japonaises, et encouragera l’ouverture économique et commercial du pays. Grand chef de guerre il croyait cependant que l’ennemi d’aujourd’hui peut et doit être l’ami de demain. Après avoir connu un développement inouï, le Japon est maintenant encore le plus proche allié de l’Occident. Mc Arthur croyait au pardon.

Pensons au plan Marshall : Ce Secrétaire d’Etat US, qui se disait humaniste chrétien, va organiser le plan d’aide le plus ambitieux et généreux jamais mis en place. Pour la reconstruction de l’Europe et de l’Allemagne vaincue. Il était bien sur convaincu que cela serait excellent pour les économies européennes et US mais il était aussi convaincu, en tant que chrétien que c’était la chose juste à faire. Pardonner, aider…

Ceci pourrait inspirer certains pour la situation Syrienne, Irakienne, Afghane…

Si vous me permettez de parler quelques instants de l’empereur et roi Charles, le dernier souverain d’Autriche-Hongrie, il y a à peine 100 ans. Je sais que vous êtes nombreux ici à bien connaitre sa vie, mais je voudrais simplement illustrer au travers d’exemples bien connus, combien des actes ou décisions guidées par des convictions profondes, sans rechercher un instant un avantage personnel, sont sources d’inspiration pour aujourd’hui et ont un impact durable.

S’il est le seul chef d’état laïc du XX è siècle à avoir été béatifié par la Pape, et que l’Eglise veut le donner en exemple au monde pour tous les dirigeants, pour les familles et comme artisan de paix, c’est donc qu’il doit y avoir des messages pour nous aujourd’hui encore.

Comment ?

Par exemple, chacun savait qu’il était Catholique fervent, mais il a tout naturellement protégé comme peu d’autres toutes les religions de l’empire. Son couronnement à Budapest où le Primat de l’Eglise tient la couronne de St Etienne au-dessus de sa tête conjointement avec le Chef de l’Eglise Calviniste, les bénédictions qu’il acceptait volontiers de rabbins, les prières des musulmans, tout cela était la démonstration d’une vraie tolérance tranquille, en laissant vivre les religions, les langues, les cultures et non pas, comme nous le voyons trop souvent aujourd’hui, en essayant de les niveler ou de les réduire.

Donc pour notre temps, réalisons que lorsque l’on sait qui on est, que l’on ne balaie pas toutes ses racines et valeurs sous le tapis, et que l’on fait l’effort de connaitre les autres, alors on n’en a pas peur. Il est souhaitable qu’en Europe, nous progressions dans la façon de voir l’autre, sans clichés, par définition faux et incomplets, et surtout sans idéologie.

Lorsqu’avec son épouse, l’impératrice Zita, dont le procès de béatification avance bien, ils mettaient les voitures du Palais aux services des pauvres pour distribuer du charbon et des vivres et qu’ils organisaient des cantines populaires, certains personnes hauts placées ne comprenaient pas que cela soit une de leurs priorités. Pourtant, l’exemple vient d’en haut.

Aujourd’hui encore il est important de savoir préserver la dignité de l’institution monarchique ou républicaine, tout en montrant qu’elles sont en premier lieu toujours au service des populations et restent proches d’elles. Quand nos dirigeants n’ont pas peur de payer de leurs personnes pour servir chaque citoyen et particulièrement les plus fragiles, et qu’ils le font de façon naturelle sans se faire précéder de tambours et trompettes, ils font leur devoir et sont inspirants. Et la population ne s’y trompe pas.

Quand il a tenté d’instaurer le suffrage universel en Hongrie, cela lui a été refusé par son gouvernement. Mais il a essayé car il l’estimait juste.

Pour aujourd’hui, il peut être inspirant pour nos dirigeants de ne pas avoir peur de se lancer dans une grande réforme qui améliorerait considérablement la dignité d’un grand nombre, même s’ils pressentent que cela sera rejeté. Cela demande bien-sûr du courage et de la vision. Mais si l’idée est bonne, elle fera son chemin dans les consciences et se réalisera en son temps. Tant pis si l’on n’en reçoit pas le crédit soi-même.

Il réussit par-contre, très soutenu par son épouse, à créer le premier ministère au monde des Affaires sociales responsable de la Jeunesse, des mutilés de guerre, des veuves, des orphelins, des assurances sociales, de la protection et du droit du travail, du chômage, de l’immigration et du logement et

Il promulgua des lois visant à la protection des femmes et des enfants et pour l’amélioration du niveau scolaire (tout cela n’était pas la priorité absolue de tous ses ministres en pleine guerre)

Et par-dessus tout, lorsqu’il a, dès les 1ers jours de son règne, commencé les négociations très secrètes avec la France et l’Angleterre afin d’obtenir la paix, en acceptant aussi les plans de paix de Benoit XV et les points du Pst Wilson, il a pris les plus grand risque vis-à-vis de son allié allemand plus fort, de ses gouvernements et états-majors, il a risqué sa vie, celle de sa famille et la perte de ses couronnes parce qu’il estimait que la paix était la priorité absolue n’en déplaise aux partisans du jusqu’au boutisme. « Personne ne pourra justifier devant Dieu tant de vies sacrifiées ». C’était une attitude qu’il estimait morale et éthique. Mais il sera bien seul à penser ainsi.

Vous vous rappelez l’écrit du Radical socialiste Anatole France « C’était le seul homme de valeur à avoir accédé, durant la guerre, à un poste de haute responsabilité ; mais on ne l’a pas écouté. Il a sincèrement voulu la paix et c’est la raison pour laquelle on n’eut pour lui que du mépris. On est ainsi passé à côté d’une splendide occasion ».

Charles croyait vraiment que l’Homme et sa dignité doivent être au centre de nos préoccupations, de nos actions et de nos lois.

En interdisant le bombardement des villes, le torpillage des bateaux civils, il a surement sauvé des milliers de vies, et il savait qu’il serait critiqué par certains membres de l’état-major, par ses gouvernements et aussi par son allié. Mais ces décisions ont eu un impact énorme sur la conscience précisément de ces dirigeants qui le critiquaient et qui, on l’a su par la suite, souffraient en fait souvent terriblement eux-mêmes de devoir donner des ordres aussi inhumains de bombardement et torpillage. Ils étaient pour ainsi dire, comme beaucoup aujourd’hui, prisonniers du système et il fallait vraiment qu’un tel ordre, impensable à l’époque, vienne d’en haut. Certains comportements fondamentaux de ces personnes et même de pays ont changé en conséquence.

Quand il a gracié des déserteurs parce que les ordres donnés lui semblaient inhumains, il a sauvé quelques soldats mais il a subi, au moment même, les critiques des juges et de certains militaires, l’accusant de faiblesse. Ce faisant, il a à nouveau interpellé les consciences de ces tribunaux et de la justice et, comme vous le savez, tant en Europe centrale que dans des pays de l’Ouest, certaines lois et règles trop dures ont été changées.

On voit donc, souvent avec le recul, qu’une décision courageuse et éthique à un moment précis, non comprise au moment même, a des conséquences impressionnantes dans le futur.

Nul doute que l’Empereur Charles était profondément mu par ses convictions et considérait que son rôle de dirigeant était de servir selon sa conscience et d’agir non pas pour sa popularité mais bien pour le bien Commun, même si cela n’était pas toujours compris.

En vérité, dans toutes ses admirables décisions et son courage, chaque humaniste se retrouve, ainsi que beaucoup de femmes et d’hommes de bonne volonté, croyants ou non.

Donc avec la baisse de la pratique et de l’influence de l’Eglise dans plusieurs domaines de la société, il est essentiel que nous restions imprégnés, nous, nos enfants, de telles valeurs, et que nous connaissions et véhiculions avec intelligence les principes remarquables de la Doctrine sociale de l’Eglise, qui est aujourd’hui plus que jamais d’actualité car elle contient tant de sagesse concernant la bonne gouvernance de nos systèmes économiques, politiques et sociaux .

Vous savez, le test est très simple, quand une idée est bonne, elle ne disparait pas, elle ne se démode pas.

Je me souviens d’une occasion où j’avais parlé à une assemblée dans une région qui avait été secouée par des grèves et des conflits sociaux et j’avais suggéré quelques principes de gestion d’entreprises qui visaient à remettre l’homme et sa dignité au centre des décisions, avec des exemples très concrets qui avaient donnés d’excellents résultats.

Un homme s’est levé, grand avec un T-shirt rouge et a dit » ça sonne bien ce que vous dites, on n’entend pas cela des partis traditionnels, elles viennent d’où ces idées ? » J’ai répondu que les principes venaient de la Doctrine Sociales mais que leurs applications concrètes venaient de chef d’entreprises et de meneurs syndicaux qui avaient décidés ensemble de faire plus pour les employés et leurs familles et que cela avait non seulement pérennisé l’entreprise mais avait même augmenté les productions et rendements »

– « Je ne sais ce que c’est que cette doctrine sociale, mais si ces idées sont bonnes pour nous, je serais preneur ».

Nous devons donc être capables de proposer et d’expliquer intelligemment pourquoi et comment des concepts bons pour l’homme peuvent s’appliquer concrètement dans nos vies de tous les jours.

Cela me rappelle le mot de Benoit XVI dans Caritas in Veritate : « que pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique, non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de l’homme » »

Aujourd’hui, je rencontre de plus en plus d’élus dans beaucoup de pays qui me disent qu’ils aimeraient tellement ne pas devoir voter sur tous les sujets surtout certains sujets sociétaux si délicats. :

« Nous sommes souvent mal préparés, nous n’avons pas le temps d’étudier ces sujets à fond et nous devons suivre les consignes de nos partis. Mais, disent-ils, imaginez que nous nous trompions. Certaines de ces lois qui touche à la vie, à la manipulation des cellules souches embryonnaires, aux droits des enfants souvent oubliés- ces lois auront probablement des conséquences pour 100 ans. Il n’est pas bon que l’État se mêle de tout et fasse des lois sur tout ».

La particratie règne actuellement dans nos démocraties. Il est important de continuer à réfléchir comment faire plus de place à des personnes plus indépendantes, et laisser la liberté d’expression et de conscience s’exprimer mieux.

De fait, observant notre monde, nous voyons aussi le fossé entre populations et responsables se creuser. Trop de personnes se sentent de moins en moins comprises et considèrent les politiques déconnectées de leurs aspirations et même de leurs nécessités essentielles. Pensons au Chili, Venezuela, Bolivie, Liban, Hongkong, Equateur, Ethiopie, Guinée, Irak, Algérie … mais aussi aux gilets jaunes, à la si triste et pénible situation du Brexit, et même aux dernières élections européennes où l’on nous proposait pratiquement que des choix binaires et clivants ( progressistes contre nationalistes, libéraux contre anti libéraux, démocrates contre populistes….) et sans beaucoup de vision à long terme ni de projets qui unissent, dont nous et surtout les jeunes ont tant besoin…

On penserait que nos dirigeants européens auraient appris les enseignements des dernières 15 années, où élections après élections, les gens exprimaient leurs peurs d’une mondialisation qui les laissent en plan, leurs colères à l’encontre du monde financier d’avoir laissé se développer la crise des « prêts hypothécaires » qui a ruiné des millions de membres de la classe moyenne et plus défavorisée, leur exaspération face à une certaine arrogance perçue par eux venant de gouvernements, de médias, de penseurs et sociologues parfois auto proclamés qui n’avaient de cesse de nous dire comment penser, comment voter, qui est le bon qui est le méchant. Alors à la longue nos citoyens s’expriment et parfois se vengent dans les urnes.….

Rappelons-nous, juste avant les élections européennes du mois de mai dernier, un sommet européen a eu lieu à SIBIU en Roumanie.

Il y avait un beau programme au menu, mais le fait que les dirigeants n’ont pas résisté à discuter discrètement mais intensément de la répartition des principaux postes de l’UE avant même d’attendre les résultats des élections, a vraiment envoyé un message négatif. Ceux qui -et c’est triste- sont convaincus que voter ne sert à rien car tout est arrangé à l’avance ou en coulisse, ont malheureusement été confortés.

J’étais il y a peu en Hongrie et à la frontière de la Serbie et de la Roumanie.

On sent qu’il y a urgence, là-bas mais aussi dans nos régions de l’ouest, à appliquer beaucoup plus le principe de subsidiarité. C’est un principe remarquable, il vient de Rome aussi, et nous le devons à Leon XIII. Et ce principe est inscrit dans les Traités européens, mais bien trop peu appliqué. 15

C’était le principe de base de l’Empire. Son fonctionnement n’était certes pas parfait mais c’est malgré tout l’ensemble au sein duquel de nombreux peuples très différents ont vécu ensemble pendant des siècles et dans la paix avec 19 langues, toutes les religions, toutes les cultures…

St Jean Paul II parlait souvent des 2 poumons de l’Europe. Malgré des divergences avec certains pays d’Europe centrale, attention de ne pas rejeter et couper le poumon droit de l’Europe simplement parce qu’il respire un peu différemment que le poumon gauche. Il faut être patient, se parler sur ce qui fâche, dans la vérité, mais aussi faire plus d’effort pour comprendre et respecter nos nombreuses diversités qui font nos richesses.

La subsidiarité, c’est-à-dire de construire de bas en haut et non l’inverse, aidera considérablement nos villages, nos régions et le fonctionnement de l’Europe.

Ce principe constitue aussi une protection contre une autorité excessive qui vient d’en haut et met en valeur les compétences, les traditions et cultures locales ce qui constitue aussi un remède à toutes formes d’extrémismes.

Rappelons-nous pour conclure que ce qui compte ne sont pas le nombre de succès que nous obtenons mais bien ce que l’on a essayé de faire et comment on s’est efforcé de travailler pour le Bien de tous.

Nous pouvons aussi essayer de résister aux tentations de choisir la facilité, la popularité, le consensus mou pour ne pas devoir dire ce que l’on pense, résister à la tentation de gouverner (pays, une région, entreprise, paroisse, diocèse ou famille…) en se basant sur les sondages, ou rejoindre la pensée unique du moment pour ne pas être critiqué ou moquer…tout cela nous guette tous les jours dans notre entourage.

Profitons de ce séjour pour redécouvrir le sens de termes comme « bien commun », « destination universelle des biens » ou encore de réaliser l’impact qu’a le fait que le pape François ait créé un Dicastère pour le Développement Humain Intégral. C’est remarquable. Un jour des pays suivront cet exemple.

Ces termes et concepts proviennent certes du christianisme mais sont largement acceptés par des millions de gens de bonne volonté et de toutes tendances parce qu’ils sont bons pour l’Homme.

Et puis, notre monde a grand besoin de vrais artisans de Paix.

Charles et Zita peuvent nous inspirer.

Totalement engagés pour la paix entre les peuples, bien-sûr, ils tentaient aussi toujours de ramener la paix entre toutes les personnes qu’ils rencontraient.

Et puis permettez-moi tout simplement de dire que chacun ( e ) de nous a un rôle à jouer, avec nos talents et nos défauts et que chacun a une mission à accomplir, grande ou humble mais toujours très importante. Et la bonne chose est qu’il n’y a pas de limite d’âge pour s’engager !

Et que si nous ne l’acceptons pas, cette mission, par peur des autres ou de nous-même, personne ne l’accomplira à notre place.

Je nous souhaite de garder ou de retrouver ce courage de témoigner de nos convictions, avec respect et humilité mais aussi à temps ou contre-temp, en gardant toujours la confiance, l’optimisme et l’Espérance dont parlait si souvent le cher et regretté Baron Guerrier de Dumast.

Je vous remercie !