Rome, 06 décembre 2016
L’évangile de ce jour est tout centré sur les enfants qui se sentent attirés par Jésus et qui suivent le mouvement spontané de leur cœur, en courant vers lui en toute confiance. Mais les apôtres croient prendre leur responsabilité en bloquant leur spontanéité pour créer le sérieux qui, selon eux, doit entourer le Messie porteur du Règne de Dieu. Jésus intervient pour dire aux apôtres de les laisser venir à lui et de ne pas les empêcher, parce que le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. Il les accueille, les bénit et les laisse aller.
Le grand mystère de la nativité du Seigneur vers lequel nous marchons, est celui par lequel, c’est Dieu lui-même qui se fait enfant, c’est-à-dire un être de confiance, totalement abandonné, qui provoque notre tendresse en adoucissant notre cœur. Chacun spontanément veut prendre un enfant sur son cœur et éprouver la paix qui vient de son contact. C’est le sentiment qui nous animera bientôt tous, face à la crèche de Bethléem.
Quand nous parlons de Royaume, nous pensons par contre spontanément à la grande vertu de la justice, sans laquelle ne règnent que banditisme et violence. Depuis plus d’une semaine les textes d’Isaïe, le grand prophète de l’Avent nous parle de refonte de toutes les armes de combat, grâce auxquels les royaumes de la terre tentent d’instaurer la justice et la paix, pour les transformer en moyens de développement agricole et donner du pain à satiété à tous les pauvres. La paix qui est à l’horizon avec la venue du Messie de Dieu ne sera pas moins qu’une fraternité universelle où il ne se fera plus aucun mal : « Le veau et le lionceau, dit le prophète, seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. » Le Règne de la confiance absolue est le règne de l’Amour.
Jésus, en reprenant ici les apôtres, est en pleine éducation de leur foi qui doit peu à peu les attacher à lui, comme les enfants le leur montrent par leur attitude : il est le Règne de Dieu en personne qui a commencé au milieu d’eux. Comme les enfants, ils doivent se laisser attirer par l’amour bienveillant de Dieu qui, en sa personne, s’est fait tout proche d’eux, est même au-dedans d’eux : « Voici que le Règne de Dieu est au-dedans de vous. » Partout où l’amour s’est vraiment incarné, les enfants ont l’intuition, disons le flair et ils y vont volontiers pour être caressés. La bénédiction du Seigneur, ce sont, comme dirait le Pape François les caresses du Père sur ses enfants. Notre foi doit mûrir jusqu’à cet âge adulte où elle s’identifie avec l’amour que Dieu nous démontre dans la personne de Jésus, le Premier-né d’une multitude de frères.
L’Eglise qui s’efforce de prolonger la pédagogie de son maître et Seigneur, elle-même prolongement de celle du Père Créateur, vous donne, frères et sœurs, de pouvoir méditer tous les ans, et même tous les jours si vous le désirez, ici en la Paroisse St Nicolas des Lorrains, ce grand mystère de l’amour de Dieu incarné en ayant sous les yeux le modèle du Saint évêque. Il a été un modèle de paternité, déjà comme prêtre, plus encore comme évêque, à tel point que, la force de l’amour qu’il a vécu, a traversé les temps et les lieux, sous la forme de récits légendaires de miracles. De Myre à la Rome constantinienne du 3ème/4ème siècle, de Bari en Lorraine et de nouveau à Rome, en cette paroisse, le modèle de bonté paternelle de St Nicolas a fait tradition et a donné beaucoup à dire. Et c’est volontiers que les générations ont témoigné, les unes après les autres, des merveilles du Saint. C’est même en songe qu’il est dit intervenir auprès des coupables, pour qu’ils avouent leur méchanceté, qu’il ressuscite les victimes, mais aussi remette en santé spirituelle les criminels eux-mêmes. Un penseur juif allemand, Adorno disait que, face au drame d’Auschwitz, la seule forme de pensée qu’il soit encore possible de développer, est une pensée de rédemption. St Nicolas, en ressuscitant les victimes de ce qu’il faut bien appeler sorcellerie, mais en même temps en absolvant les criminels qui servent en repas de restauration de la chair d’enfants pour s’enrichir de cette façon ignominieuse, restaure la vie et l’amour réconciliés dans leur pleine dimension, comme le cœur humain en porte le désir : une restauration universelle.
En Afrique, et tout particulièrement au Bénin, dont je suis originaire, St Nicolas n’est assez connu, mais je suis persuadé que sa légende, en migrant de l’espace européen vers nos terres, refleurirait de plus bel, parce que les mêmes violents contrastes et la même soif de vie réconciliée et apaisée s’y retrouvent, et St Nicolas, en faisant l’objet du même culte, et engendrerait les mêmes récits fabuleux. La recherche de pratiques rituelles contre la violence sorcière, et en faveur de la vie qui fait la passion de l’Africain, aurait depuis longtemps donné à la légende de St Nicolas un regain inouï de vitalité. L’imaginaire populaire faisant de la sorcellerie une transformation magique de chair humaine, surtout d’enfants, en viande d’animaux gras pour les sabbats sorciers, tout le Bénin aurait vu depuis longtemps en St Nicolas, le Saint par excellence de la lutte anti-sorcière.
Frères et sœurs, votre Saint Patron est, depuis son lointain 3ème siècle, une figure de sainteté particulièrement attachante. Autour de lui gravite l’auréole d’une réponse merveilleuse, à notre profonde aspiration au bonheur, comme nous tous, ici come là-bas, nous le rêvons : un bonheur sans la Croix !. A quelques semaines de la nativité du Seigneur, avant que le fameux Père Noël, ne nous fasse complètement décoller de la réalité, en gommant toute croix de la vie des hommes, c’est St Nicolas que nous fêtons. Les enfants l’aiment, parce qu’il est une expression de l’amour paternel authentique tel qu’ils le voudraient. Mais lui, Nicolas, figure du Père aimant n’a pas décollé de la Croix, il la vit au plus profond de lui-même pour pouvoir leur offrir l’amour paternel lumineux et ardent qui les attire.
La piété populaire, c’est-à-dire la couche primaire d’humanité qui, en chacun, en chacune de nous conserve cette fraîcheur et cette innocence confiante propre aux enfants, aime aussi St Nicolas parce qu’il est une figure d’évêque qui a remarquablement vécu le cœur de notre religion qui n’est autre que l’Amour-Charité. Puisse St Nicolas nous apprendre, et tout spécialement à vous qui êtes sous son patronage, ici à St Nicolas des Lorrains, à prendre sur nous la Croix nécessaire pour que la grâce de la nativité de notre Seigneur ne soit pas une « grâce à bon marché ». Sans la vie pour l’autre qui s’appelle Croix, la grâce à bon marché ne saurait nous être d’une quelconque utilité à l’heure où les violences contre les vies innocentes sont si nombreuses et déguisées sous les apparences les plus mensongères. Que St Nicolas intercède pour nous ! Amen !
+ B. Adoukonou
Secrétaire du Conseil Pontifical de la Culture